18 avril 2005 (le pape benoit 16) theatre
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Histoire presque personnelle

Ma soeur est née un 18 avril. Je sais : nul n’est parfait. A moins que vous ayez une soeur, une grand-mère ou une tante née le même jour, j’ai un avantage sur vous : elle le répète si souvent que ça m’est devenu une de ces connaissances sans grande utilité : chaque année, le 18 avril, on célèbre... si vous espérez devancer mon récit en pensant « Pâques », c’est raté. Le 18 avril, c’est la Saint Parfait.
Et en 2005, pour ses quarante ans, au lieu de nous pondre une crise classique, « juré, juré craché, demain j’arrête, je ne peux plus continuer cette vie de con, ils sont vraiment trop cons mes patrons, je pars retaper une bicoque en Ardèche ou en Sibérie » et bla et bla.
On aurait compris. Surtout qu’à 30 ans elle avait passé la soirée avec un bandana rouge dans les cheveux à psalmodier « putain j’ai trente ans ». C’était d’un gai ! On aurait dit qu’elle parodiait Francis Cabrel. Elle nous cassait alors les oreilles avec sa grande théorie : « 30 ans, c’est le premier changement de décennie sans enthousiasme :
à 10 ans, j’étais émerveillée par les bougies, à 20 c’était l’euphorie, mais 30, mais 30 ! 30, 30, 30, tente de comprendre, petit frère, ça te fout la vie en l’air, 30, 30, 30 » et bla et bla.
Elle nous avait même chanté du Souchon : « toto, 30 ans, rien que du malheur ».
Cabrel, Souchon, il ne manquait plus que Mireille Mathieu.

On s’attendait donc au pire, pour ses 40 ans. Mais à ça, impossible de prévoir ! Une véritable fixation. Sur le pape. Jean-Paul II venait de mourir. Si elle nous avait annoncé « je pars pour Rome », ça nous aurait pas plus étonné que de l’entendre un soir sur France-Inter, au Téléphone sonne.
Elle avait réussi à être sélectionnée avec une question forcément bidon... et patatras :
Elle apostrophe le cardinal d’une manière certes respectueuse mais déconcertante ; « monseigneur, j’ai appris que vous entriez en conclave le 18 avril pour nommer le nouveau successeur de Pierre, pourriez-vous me promettre que le 18 avril à 23h30, la fumée blanche s’élèvera sur Rome ».
Le Cardinal allait répondre qu’elle ajoutait :
« Je suis née le 18 avril 1965 à 23h30, et je ne m’en remettrais jamais si je ne voyais que de la fumée noire ; j’y verrais un signe de mauvais augure, pour moi mais aussi pour vous, pour l’église, pour le monde et même pour mon frère ».
Sur France-Inter, c’est des pros.
« Merci, merci, et toute l’équipe en profite pour saluer votre frère. Vous êtes nombreux au standard ce soir et avant de vous passer la parole, Monseigneur, nous allons prendre une nouvelle question presque complémentaire afin de vous permettre de grouper vos réponses et ainsi de permettre à un maximum d’auditeurs de s’exprimer. Vous êtes très nombreux ce soir ».

Elle est grillée sur France-Inter ! Et jusqu’au 18 avril, un véritable calvaire. Notre chemin de croix peuplé d’invocations. Elle s’est même réveillée une nuit en prétendant qu’elle venait d’assister à un dialogue entre l’âme de Jean-Paul II et Zinédine Zidane, et le footballeur avait promis de rejouer en équipe de France ! Elle en est même tombée malade. Une bronchite virale. Forte poussée de fièvre. Coup de froid selon le docteur. Psychosomatique selon moi.
Un simple virus certes mais ça ne lui était pas arrivé depuis plus de quinze ans.
Un véritable calvaire pour nous. Elle voulait sa fumée blanche le 18, sinon on allait voir c’qu’on allait voir. On eut droit à ses prédictions, une attaque des martiens, le divorce de Bernadette et Jacques Chirac, l’hospitalisation de Jean-Pierre Raffarin, Nicolas Sarkozy en flagrant délit de vol à l’étalage, le mariage de Jack Lang et Brigitte Bardot ou le contraire, Nicolas Sarkozy avec Brigitte Bardot, la victoire de Valéry Giscard d’Estaing lors de présidentielles anticipées...

Dire qu’avant cette époque, c’était moi, dans la famille, qu’on considérait « un peu spécial ».
Alors il a bien fallu se concerter, chercher une solution. Dans ces cas-là, naturellement, on trouve toujours. Pas toujours du meilleur goût certes, mais à cas urgent, réponse en conséquent.
La soirée du 18 avril a commencé au champagne et sur TF1. Vers 20 heures on s’est cru sauvé. Tous, on regardait à peine l’écran, on se contentait de remplir sa coupe et de trinquer.
Vers 20 heures donc, elle se met à hurler « fumée blanche, fumée blanche ».
A ce moment-là, on se tourne vers l’écran. Noir. Noir. On aurait presque cru une panne d’électricité ou quand la grand-mère s’amuse à débrancher l’antenne au moment du cinquième penalty en demi-finale de la coupe du monde.
« Je vous jure, au début c’était blanc, enfin gris... vous verrez s’ils remontrent les images, on aurait dû enregistrer ».
Discrètement, on s’est regardé. On tremblait. J’ai eu la bonne idée de trinquer à la santé de la fumée noire et de lui affirmer que ça n’arrivait jamais, au Vatican, une élection au premier tour. J’en sais rien... mais il faut parfois improviser. Et bla et bla, cul sec.
Elle répond : « Heureusement. Le 18 avril c’est bien mais 20 heures c’est pas ce qu’il était convenu avec mon ami. C’est pas ce qu’il était convenu avec mon ami. Je suis née à 23h30, je m’en souviens ! ».
Elle l’appelle encore « mon ami », le cardinal.
Et à 23h30, elle a eu sa fumée blanche.
« Vous la voyez aussi. Vous la voyez aussi ». Mais oui, mais oui, on la voyait aussi. Karol Wojtyla est apparu à la fenêtre.
Le plus difficile commençait. Pour nous. Jusqu’à la véritable élection, il allait falloir l’éloigner des télés, des journaux.

Bin oui, quoi, à 23h20, on avait discrètement enclenché la lecture du magnétoscope. Et à 23h30, c’est l’élection de 1978, celle de Jean-Paul II, qu’elle a cru voir en direct.
On trouve de tout sur internet. Même cette cassette !
Le lendemain, on avait une de ces gueules de bois... on n’a pas allumé la télé de la journée ! Le soir, dans les toilettes, je poussais un grand ouf ! En écoutant discrètement la radio : Josef Ratzinger venait d’être élu.

Le mercredi, retour à une vie presque normale.
On ne pouvait que sourire, quand elle commentait : « lundi, quand il est apparu à la fenêtre, je l’avais trouvé plus jeune, je l’avais trouvé plus jeune ».
Elle se mettait en colère contre ces journalistes qui décidément bavent n’importe quoi, quand elle entendait « ....élu hier 265eme pape de l’histoire.»
Avant-hier, bien sûr, ma grande !

Maintenant, son sujet favori, c’est Benoît XVI.
« Oh moi, pas de danger que j’oublie son élection. C’était à l’heure exacte de mes 40 ans. »
Comme tout le monde ignore, soit qu’elle est née un 18 avril soit que le pape a été élu un 19 avril, soit le plus souvent les deux, notre subterfuge n’a pas été démasqué.

Mais comme pour les cambriolages mythiques, il est difficile d’éternellement réfréner son envie d’estomaquer : « vous savez, cette grande énigme, c’était moi... » je lui offrirai donc un livre... et cette fois au moins, je saurai si elle l’a vraiment lu, quand elle affirmera : « tu progresses, tu progresses, il est nettement meilleur que le précédent ».



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