théatre pièce politique jacques et bernadette chirac 1994 vus par ternoise 2006
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Monsieur le maire, sa femme et les élections présidentielles
Acte 3
Scène identique à l’acte 1... avec aquarium et pelouse bien verte.
Bernadette dans son fauteuil, le regard fixé sur une page du journal. Bernadette : - Mon Dieu. Saint Antoine de Padou priez pour nous. Saint Eloi priez pour nous. Sainte Bernadette, priez pour nous. Mon Dieu, les courbes, les courbes s’inversent. Mon Dieu, il n’y a plus de doute. Mon Dieu, vous m’avez entendu. Mon Dieu, elles vont bientôt se croiser. Oh mon Dieu !
Jacques entre, euphorique.
Jacques : - Ah ! Vous avez déjà reçu le journal ! Vous avez vu ça ! Bernadette : - Mais comment savez-vous ? Jacques : - La meilleure, j’ai gardé la meilleure pour le petit déjeuner. Allez, je vous l’annonce avant : ils retournent leur veste, tous, ces messieurs des médias. Ils savent qu’avec moi, ils seront toujours bien logés, bien nourris et... (il sourit, se retient d’en dire plus). Ils ont compris qui a le vent en poupe... whaou... (tour complet sur lui-même... a du mal à se récupérer...) Ah, il faudra que je fasse quelques exercices (il sourit). Admirative, Bernadette le fixe (sans comprendre le sous-entendu de son sourire). Jacques : - Mais ne croyez pas ce journal, chère future première dame de France. Bernadette : - Comment ! Jacques : - Ne croyez pas qu’il me devance encore de quatre points, le scélérat. Bernadette souriante : - C'est-à-dire, cher ami... Jacques : - En fait, je ne suis plus qu’à un point et demi derrière le traître. Le demi ne compte même pas. C’est pour cela qu’ils retournent leur veste. Mais je leur ai dit « non, non, attendez ». Vous allez me demander, pourquoi ? et je vais vous le dire. Bernadette sourit. Jacques : - Oh zut, je me mets à parler comme l’autre félon... admirez notre raisonnement : il faut laisser le téléspectateur lambda se dire « comme c’est injuste, le traître ne fait rien depuis deux ans, et reste quatre points devant ». Tout est affaire de teeming dans ce genre de sport. Maintenant qu’il me voit derrière son dos, il s’affole, le vieux joufflu. Alors je vais rester derrière encore quelques jours et il va bien être forcé de jouer son va-tout. Bernadette : - Et il va nous gratifier d’un aphorisme du genre « il fait chaud dans le métro ». Jacques : - Il va bien nous sortir un truc que ses conseillers lui auront conseillé, et il va se ramasser, on va la trouver la faille de sa carapace, on va tirer à boulets rouges, la grosse artillerie est prête, je peux vous l’affirmer, il sera naze le jour J, alors grand Jacques, trois petites enjambées « beau temps monsieur le premier ministre, vous m’excusez, les choses sérieuses commencent, j’ai un rendez-vous historique à l’Elysée ». Bernadette : - Oh Jacques ! nous allons vraiment gagner. Jacques : - Elle avait raison la veille voyante ivoirienne. Deux défaites, et victoire. Elle n’a pas précisé combien de victoires. Je me verrais bien à l’Elysée deux septennats. Pourquoi pas trois. Et ça nous ferait quel âge, quatre ? Bernadette : - Je prie chaque jour pour l’âme de cette brave femme. N’oubliez pas vos prières, Jacques. Jacques hausse les épaules.
Bernadette : - Ne parjurez pas Jacques. Reconnaissez l’intervention divine. C’est depuis que j’ai entamé ma neuvaine que les sondages frétillent. Jacques : - C’est depuis... (il se rend compte qu’il allait en dire trop ; crie :) Jean-François. Bernadette : - Appelez-le Georges comme l’autre. Jacques : - Je le regrette, ce brave Bernard. Bernadette : - Vous êtes bien le seul dans cette maison. Entre Jean-François.
Jean-François : - Monsieur et madame ont sonné. Jacques : - Mais oui, mais oui, service, mon ami, il fait soif. Jean-François : - Bien monsieur le maire. Jean-François sort.
Jacques : - Je lui trouve un petit air déplaisant, bourgeois parvenu, genre Edouard dernier. Je crois que je vais rappeler Bernard. Bernadette : - Ne revenons pas sur ce sujet, s’il vous plaît cher ami. J’ai d’ailleurs appris qu’il s’était replacé. Chez une... secrétaire (elle observe Jacques à la dérobée, il reste impassible) dont on dit les pires choses. On dit même qu’elle travaillerait pour Matignon, qu’elle aurait pris Bernard à son service pour essayer d’obtenir des confidences à notre sujet. Jacques : - Bagatelles... et de toute manière, le traître sait tout de nous, et nous sommes blancs comme neige... Bernadette : - J’espère que vous ne la voyez pas. Jacques : - Mais je n’ai aucune raison de voir Bernard tant qu’il n’est pas de retour dans cette maison. Jean-François revient avec un plateau et une coupe.
Bernadette : - Nous reparlerons de tout cela après le second tour... quel est votre programme aujourd’hui... Jacques (il regarde sa montre) : - La petite n’est pas encore arrivée ?... province, province, province... nous allons être trois jours sans nous voir, comme vous le savez, chère épouse. Entre Claude qui se précipite sur le plateau, subtilise la coupe.
Claude : - Papa, tu sais bien que ça t’est interdit ! Maman, alors, tu m’avais promis de le surveiller. Bernadette fataliste : - Si tu crois que ton père est homme qu’on tienne en laisse... Jacques : - Ah non ! A jeun, c’est insupportable de sourire, serrer des mains. Non ma fille ! si tu ne me laisses pas déjeuner en paix, je reste-là. Claude : - Je parie que non. Elle sourit et vide sa coupe cul sec.
Bernadette : - Claude ! (Bisou de Claude à son père puis à sa mère)
Claude : - Ah ! comme c’est bon (en souriant :) tu me donneras l’adresse de ton fournisseur. Jacques : - Jean-François, alors !, allez donc me chercher une autre coupe. Claude : - Ah non ! Jean-François s’arrête.
Jacques : - Mais vous êtes au service de qui ! Jean-François : - Madame et Monsieur m’ont bien stipulé de toujours écouter mademoiselle. Jacques : - Mais pas quand elle dit des bêtises, mais pas quand elle veut mettre à l’eau son vieux père. Jean-François sort et rentre quasi immédiatement avec une coupe, la remplit. Jacques se précipite et la vide cul sec. Claude tend sa coupe à remplir.
Bernadette : - Ma fille, voyons, ça ne se fait pas. Claude : - Oh maman, lâche-toi un peu de temps en temps. On voit que ce n’est pas toi qui vas te taper trois jours avec des types qui azotent sous les bras, d’autres qui postillonnent, et des vieilles qui vous collent leur rouge à lèvres sur la joue. Le tout dans la même minute ! Bernadette : - La rançon de la gloire, ma fille ! M’as-tu déjà entendue tenir pareil langage ? As-tu oublié que je suis moi-même élue du peuple. Claude : - Il va falloir te relooker maman. Sinon on va te comparer à la reine d’Angleterre et ça va nous faire perdre une partie de l’électorat populaire qu’on a eu tant de mal à rallier à notre cause (elle vide sa coupe). Bernadette : - Vous me faites peur !... parfois je dois me pincer quand je vous entends. Si je ne vous connaissais pas je vous croirais. Claude : - Hé bien, tu vois, c’est l’essentiel. Bernadette : - Mais ne vous coupez pas de notre électorat traditionnel. Claude : - Mais ils sont comme toi, maman, ils nous connaissent ! Jacques qui se fait resservir une coupe : - Le premier tour à gauche, le second au centre, ça c’est de la politique... je suis certain que le vieux m’admire. Lui aussi il a ratissé à gauche. Bernadette : - Mais lui est (avec dégoût) so-ci-a-lis-te. Jacques : - Pas plus que moi ! Lui et moi, nous sommes de la même trempe. C’est d’hommes comme nous qu’elle a besoin la France ! La France sera éternelle tant qu’elle trouvera des leaders naturels de notre trempe. Je suis son fils spirituel ! Il va voter pour moi, il me l’a promis. Et sa fille aussi ! Claude se fait resservir (à Jean-François) : - J’espère que cette fois vous n’avez pas oublié de remplir les valises. Jacques regarde sa montre : - Bon, je vais me changer... Il tend sa coupe en passant, Jean-François la remplit, il la vide en sortant.
Jacques de derrière la porte, crie : - Ouvrez-en une autre... on la videra dans la voiture... Claude : - Si tu en as le temps. Claude prend la bouteille des mains de Jean-François et finit le Don Pérignon au goulot.
Bernadette s’exclame : - Ma fille ! Claude : - Ah ! c’est moins bon. Mais y’a tout le plaisir de la transgression. Bernadette répète doucement, abattue : - Le plaisir de la transgression. Ma fille, je ne te reconnais plus depuis que tu es chargée de campagne. Claude : - On va baratiner durant trois jours sur la justice sociale, la France des travailleurs, la France qui souffre, fracture sociale, injustices, droits de l’homme, il faut bien vider les bonnes bouteilles loin des journalistes. Chargée de campagne... tu ne vas quand même pas me le reprocher... ils étaient pas nombreux à vouloir du poste y’a quelques semaines... Bernadette : - Jean-Pierre aurait rempli dignement cette mission. Claude : - Il nous aurait concocté un super planning digne d’un conseiller général, visite des clubs du troisième âge avec petite causette au club de pétanque. On serait à 5% dans les sondages ! Je te l’ai dit : on n’a rien à perdre. Alors on rentre dedans. On n’a pas de temps à perdre avec la finesse. Certains il leur faut des amphétamines pour un tel marathon, nous on carbure au Don Pérignon, c’est quand même pas plus mal. Tu crois pas qu’on a raison ? On consomme français ! Bernadette : - Quelques émissions de télévision, la presse, pour une élection présidentielle, ça devrait être suffisant... à notre âge... les gens connaissent Jacques ! Claude : - Mais non maman, le Jacques nouveau est arrivé ! Et même Edouard va mouiller sa chemise. Enfin, il va essayer pour éviter d’apparaître trop ringard. Tu le vois prendre des amphétamines ou du Don Pérignon ? Même du saumon, il ne touche que trois fourchettes. Hé bien ça, ça plaît pas aux marins qu’on renâcle sur leur saumon. Je croyais que tu connaissais la France profonde... Bernadette : - La France change ma fille... tout fout le camp... Claude : - Mais non ! Toutes les professions aiment qu’on leur fasse croire qu’on s’intéresse à elles. Dans ces cas-là, tu sais comment on fait ? Bernadette : - Que de sacrifices. Ne m’en dis pas plus ma fille, s’il te plaît, rien que le mot saumon, mon café me remonte. Claude : - Hé bien si, maman, il faut que tu sois de notre côté merde. Il faut que tu nous soutiennes ! Bernadette : - Mais que se passe-t-il ma fille ? Je suis de tout coeur avec vous. Claude : - Sois moins coincée. Hé bien oui, on se met deux doigts dans la gorge et retour à l’envoyeur. Bernadette a un haut le coeur. Se cache le visage de la main droite et de l’autre se retient de vomir. Bernadette en se redressant : - Et cette Christine vous accompagne ? Claude : - Si tu crois que je connais le prénom de tous les gens qu’on doit voir aujourd’hui. Bernadette : - Ma fille... J’ai la force d’entendre la vérité... il faut que tu me dises... Je veux bien être tolérante, comprendre certaines choses que je ne comprends pas... Claude prend le journal : - Mais regarde les courbes plutôt que de te faire du mal avec des racontars. Bernadette : - Je sais... et depuis, plus personne ne me dit rien. Avant, tout. Je savais tout dans la demie heure. Et maintenant on dirait qu’ils ont retrouvé leur guide, leur messie. Jacques entre en costume, avec sa coupe.
Jacques : - Quand on parle du messie... on voit sa Bernadette pour couvrir la fin de sa phrase : - Je crois que votre voiture est arrivée. Claude : - Maman, il va te falloir un jour lâcher-prise. Jacques : - Je téléphone à mon maître zen pour qu’il passe te conseiller dans la journée. Soyez zen, chère épouse, laissez le vent nous porter ! Jacques prend la nouvelle bouteille (précédemment ouverte par Jean-François) sur la table et se sert une coupe, la vide cul sec. Une autre coupe.
Claude : - Hé camarade !, sois un peu socialiste partageur... Jacques prend sa fille dans les bras.
Jacques : - Ça fait du bien de se sentir soutenu, compris. C’est pas parce qu’on s’amuse qu’il faut se croire au théâtre ! C’est quand même la France qui est en jeu ! Claude : - On ne peut pas laisser la France sombrer dans la léthargie ! Il faut lui ouvrir les yeux ! Allez, elle nous attend. Bernadette tressaille en regardant sa fille.
Bernadette murmure, blessée : - Elle... Claude quittant les bras de son père : - La voiture... maman, je crois que tu as vraiment besoin d’un peu de zen ou de Don Pérignon. Et même des deux (Claude prend la bouteille de Don Pérignon). Claude embrasse sa mère. Jacques s’était déjà éloigné vers la porte, il se retourne et envoie un baiser en titubant. Sa fille le rattrape en souriant. Ils sortent bras dessus bras dessous, sans écouter si Bernadette répond.
Bernadette : - Zen ou Don Pérignon, quel choix ! Bernadette pose ses mains sur les accoudoirs, la tête en arrière.
Bernadette : - Qu’est-ce que j’en aurais bavé... mais si on gagne... je pourrais dire que le jeu en valait la chandelle.
Bernadette crie : - Georges ! Georges entre. Georges : - Madame m’a appelé. Bernadette : - Une coupe. Georges : - Je suis désolé, monsieur a emmené la bouteille et celle-ci est vide. Bernadette : - Vous plaisantez, Georges ? Georges : - Pas du tout madame (il retourne la bouteille). Bernadette : - Mais ouvrez une autre bouteille ! Georges l’air de désapprouver : - Bien madame. Il sort.
Bernadette avec une pointe de fatalisme : - Il me ferait presque regretter l’autre, ce « boy »... Bernadette : - Je viderai le reste dans son nouveau gazon... Georges revient avec, sur un plateau, une coupe, une bouteille, l’ouvre et sert.
Bernadette : - Je n’ai plus besoin de vous. Georges se retourne pour sortir.
Bernadette : - Laissez la bouteille.
Georges l’air de désapprouver : - Bien madame. Il sort.
Bernadette : - Et si je prenais la première cuite de ma vie ?... (elle boit la moitié de sa coupe)... Raté !... Je ne comprends pas comment la petite peut vider ça d’un seul trait... Allez, je leur pardonne si on gagne (elle vide sa coupe). Ah ! C’est trop une coupe sans même un petit biscuit. (elle regarde la bouteille et sourit... elle prend la bouteille et boit au goulot... elle repose la bouteille, sourit et toussote...) Ah ! si père et mère voyaient ça !... (en riant) je lâche-prise... transgression ! Et si j’écrivais un bouquin moi aussi ! Et si je me faisais inviter à la télévision ? (elle attrape le hoquet...)