La maison de campagne des Dufric vie montcuq cahors theatre
La scène se déroule dans le canton de Montcuq dans le Lot
recevoir le texte (pièce complétée en 2007 par l'auteur et republié en version définitive -
ci-dessous figure l'ancienne - par mail vous recevrez la nouvelle version)
La maison de campagne des Dufric
Scènes du sud-ouest
Pièce en six tableaux. Chaque tableau est situé grâce à la projection d’une diapo (photos ou dessins)
M. Dufric : la quarantaine bedonnante. Mme Dufric : son épouse. L’artisan du village. La femme de l’artisan. Dufric-conseil : le frère de M. Dufric.
Cette pièce peut aisément se métamorphoser en... scénario d’une bande dessinée !...
Tableau 1
Monsieur et Madame Dufric devant leur nouvelle maison en pierres. Accompagnés du frère de Monsieur Dufric. Est visible : une voiture d’un modèle « français moyen voulant montrer sa réussite ».
Dufric-conseil : - Ça, vous pouvez me dire merci ! Le jour où le marché va se retourner, tu vas faire une superbe plus-value ! Mme Dufric en regardant son mari : - On peut dire qu’il est avantageux d’avoir un frère dans les hautes sphères de l’E.D.F. Dufric-conseil : - R.T.E, réseau de transport de l’électricité, ma belle-soeur préférée. Nous sommes désormais totalement indépendants de l’E.D.F. M. Dufric : - Peu importe le nom, une fois que tu nous éclaires. Dufric-conseil : - Un jour il faudra que tu arrêtes avec cette blague ! tout le monde ne peut pas être expert comptable !...Vous l’avez vraiment eue pour une bouchée de pain... je regrette presque de ne pas l’avoir achetée ! M. Dufric : - Bin toi !, tu n’en aurais pas assez des maisons ! Dufric-conseil très fier : - Abondance de pierres ne saurait nuire. Mme Dufric : - Et s’ils la font, la ligne à très haute tension ? M. Dufric : - Mais il faut être des ploucs pour craindre l’électricité. Dufric-conseil : - J’y compte bien qu’on va la faire cette ligne. Ce n’est pas quelques ploucs qui vont nous détourner de notre historique mission d’irrigation du progrès dans toutes les contrées. Tout enfant qui naît en France a le droit de bénéficier de notre technologie de pointe. Mme Dufric : - J’aimerais quand même pas que tu viennes me planter un poteau dans le jardin. Ce ne serait pas convenable. Dufric-conseil : - Je t’ai dit : le tracé définitif a été décidé en commission. Et il passe à plus de cinq cents mètres de votre nouvelle résidence de campagne. Tu ne la verras presque pas. M. Dufric : - Je ne comprends pas pourquoi vous laissez faire tout ce remue-ménage ? Dufric-conseil : - Le pays veut cela ! Il faut permettre aux gens de s’exprimer ! Tant qu’ils font ça, ils ne fomentent pas de révolutions ! Et ça permet à quelques petits notables locaux de se faire mousser ! ça donne du travail aux médias ! Les français ont besoin de polémiques ! M. Dufric : - Que de temps perdu ! Il suffirait de mettre quelques excités en prison ! Dufric-conseil : - Mais les excités... personne ne les verra ! Les médias influents sont naturellement de notre côté ! L’opposition est tenue en main par des petits notables à qui il suffira de remettre une petite médaille pour qu’ils retournent leur veste... De toute manière, c’est comme ça maintenant, il faut faire croire aux gens qu’ils ont leur mot à dire. Comme s’ils y connaissaient quelque chose, ces ploucs. Tu les as déjà vus, tes voisins ? Mme Dufric : - J’ai cru visiter un zoo ! M. Dufric : - Oh celle-là, il faudra que je la replace !... Tout est décidé... mais tu nous feras quand même donner un beau pactole pour les nuisances. Dufric-conseil en souriant : - Pardi ! Les cons qui te l’ont vendue ! si un jour ils apprennent qu’on t’a donné le prix de vente comme dédommagement des nuisances ! M. Dufric : - T’es vraiment le roi des magouilleurs ! Dufric-conseil : - Pardi ! Puisqu’on a un budget « dédommagements », on ne va quand même pas en faire profiter ces ploucs. M. Dufric : - Ils ne sauraient même pas quoi en faire ! Mme Dufric : - Mais tu es certain que ce n’est pas dangereux la très haute tension ? Dufric-conseil : - Tu me vois, en pleine forme ! Mme Dufric : - Mais tu ne vis pas à côté d’une ligne ! Dufric-conseil : - Tu ne vas quand même pas écouter la propagande des ennemis du progrès. Toutes les études sérieuses démontrent qu’il n’y a aucun cas où l’exposition à une ligne à très haute tension peut être considérée comme la cause d’une maladie. M. Dufric : - De toute manière... s’il y en avait un, il serait classé secret défense ! Dufric-conseil : - Oh ! Comment tu nous considères ! Offre-moi plutôt le champagne ! Tu sais bien que nous prenons grand soin des populations, que nous sommes au service de l’indépendance énergétique de la France... M. Dufric : - Oui, on va trinquer à la santé de ces héritiers qui ont déserté ce petit coin de paradis... j’en deviens poète quand je vois cette verdure. Dufric-conseil : - Pense aussi au vieux qui doit être dégoûté s’il les a vu signer. Il a trimé toute une vie pour que ses gosses se chamaillent et se laissent dévorer par le grand vautour. Mme Dufric : - Je le dis toujours : quand on a des enfants, il faut régler tout de son vivant, et surtout pouvoir leur transmettre à chacun une maison. Comme ça maintenant, les enfants ont chacun leur maison pour plus tard. Très fiers de leur réussite, ils avancent vers la porte de la maison.
Tableau 2
M. et Mme Dufric, un matin, au jardin, petit-déjeuner sous parasol.
Mme Dufric : - Je crois que je vais m’ennuyer. C’est trop calme. M. Dufric : - Tu parles d’un calme ! Leur coq à ces ploucs m’a encore réveillé. Mme Dufric : - Les joies de la campagne ! M. Dufric : - Mais c’est leur voiture qui descend (il se lève pour observer). J’ai au moins une heure. Sa vieille est avec lui... (il sort de scène en vitesse) Mme Dufric : - Mais où vas-tu comme ça ?... tu n’as pas fini ton croissant.
Mme Dufric : - Qu’est-ce qu’il lui prend ? Il ne va quand même pas téléphoner à la S.P.A pour leur demander d’intervenir ?... Enfin, je ne lui donnerais pas tort, s’il chante comme ça chaque matin, leur coq, c’est qu’ils doivent le traiter d’une manière non convenable. Ou alors il téléphone aux gendarmes ?... Après tout, pourquoi pas. C’est pas moi qui lui donnerais tort. Je ne vois pas pourquoi on laisserait un coq chanter alors qu’on peut se prendre un P.V. pour avoir klaxonné.
M. Dufric revient. En tenue de chasse, avec son fusil.
Mme Dufric : - Mais que se passe-t-il ? M. Dufric : - Tu n’as pas deviné ? Je t’ai connue plus perspicace. Alors, personne ne devine ? Mme Dufric : - Oh ! Tu penses que c’est bien convenable ? M. Dufric : - Tu ne vas quand même pas plaindre leur coq ! Mme Dufric : - Peut-être que si tu allais leur parler d’abord, ce serait plus convenable, ils le feraient peut-être taire leur coq. M. Dufric : - T’y connais vraiment rien aux ploucs. On voit bien que tu n’as pas fait l’armée, toi. Si je vais leur parler, ils se fouteront de ma gueule et achèteront un deuxième coq. Mme Dufric : - Mais si quelqu’un te voit ? M. Dufric : - Qui veux-tu qui me voye par ici ? Mme Dufric : - Tu sais bien qu’on ne peut plus être tranquille nulle part. M. Dufric très fier, en sortant un sachet d’une de ses poches : - J’ai même pris un sachet. Ça t’évitera de devoir laver ma veste. Mme Dufric : - Tu es vraiment le plus convenable des maris. M. Dufric : - Ça nous fera un bon bouillon. Mme Dufric : - Tu sais comment on fait du bouillon toi ? M. Dufric : - C’est toi la femme. Mme Dufric : - J’ai toujours entendu dire que c’était avec une poule. M. Dufric : - Si on peut le faire avec une poule, je ne vois pas pourquoi on ne le ferait pas avec un poulet. Mme Dufric : - Tu as raison. Mais il faudra que j’achète un livre de cuisine. Je le ferai dimanche avec les enfants... au fait... c’est un coq ou un poulet ? M. Dufric : - Tu m’embêtes. De toute manière j’ai plus que des cartouches pour sangliers. Je crois que je vais lui butter le troupeau. Mme Dufric : - Tu crois que ce serait convenable ?... M. Dufric : - Ils l’ont bien cherché. Mme Dufric : - Ce serait le coup du roi. M. Dufric : - Ne dis pas des bêtises. Mme Dufric : - C’est du Pagnol. M. Dufric : - Toi et tes séries américaines ! Allez, j’y vais (il sort). Mme Dufric : - Je n’ai pas voulu répliquer. Ça n’aurait pas été convenable. Il se serait peut-être fâché. Il ne faut jamais contrarier un homme qui a tournevis dans les mains comme disait ma grand-mère. Qui plus est un fusil ! Et je ne vais quand même pas gâcher nos vacances pour si peu. De toute manière, ça n’a jamais été son truc, la littérature. Lui c’est les tableaux de financement. Chacun son truc. Mais enfin, ne pas connaître monsieur de Pagnol ! C’est pourtant un auteur classique, en plus un héros national, même la banque a émis un billet avec sa tête dessus, au grand Antoine de Pagnol... Dire que je l’ai appelé « mon petit prince »... (elle sourit) c’était y’a si longtemps !... Il aimait ça, que je l’appelle « mon petit prince ». Et il m’appelait « princesse »... comme nous étions romantiques... les jeunes ont tort d’avoir perdu le romantisme... Je devrais peut-être me remettre à lire des gros livres... les journées passeraient plus vite... oh non, tout ce qui s’écrit est tellement ennuyant que ça m’ennuierait encore plus... On entend un coup de fusil. Mme Dufric sursaute.
Mme Dufric : - Oh ! J’aurais dû m’y attendre. Et pourtant, ça m’a fait sursauter. Comme ça va le faire rire (elle rit). Et comme les enfants vont rire... A moins que je garde tout ça pour moi ?... Ah ! ils changent, mes enfants !... Ah ! S’ils avaient pu rester hauts comme trois pommes. Plutôt que de perdre de l’argent à faire des fusées alors que je n’irai jamais sur Mars, c’est ça qu’ils devraient inventer, des enfants qui restent enfants. Oh non ! Je crois qu’ils me lasseraient, à force. Un clone, ce serait mieux, un clone qu’on pourrait garder enfermé dans une pièce spéciale, pour en utiliser des morceaux quand un truc se met à déconner. Je devrais peut-être écrire un roman de science fiction. Je deviendrais riche et célèbre... Retour de monsieur Dufric.
M. Dufric très chasseur triomphant : - On peut dire qu’il n’a pas souffert. Il aurait fallu que tu voyes ça. Mme Dufric : - Mais où est ton gibier ? M. Dufric : - Va me chercher l’aspirateur. Y’a des plumes partout. Mme Dufric : - Et tu vas le brancher où ? M. Dufric : - J’utiliserai les piles. Mme Dufric : - Oh chéri ! Un aspirateur à piles ! Voyons ! Ce n’est pas convenable ! M. Dufric : - Ma radio, je la branche sur le secteur mais je peux l’utiliser sur piles. Mme Dufric : - On voit que tu n’as jamais utilisé d’aspirateur ! M. Dufric : - Il est beau le progrès ! On envoie des hommes dans l’espace et on n’est pas foutu de faire fonctionner un aspirateur avec des piles. Mme Dufric en souriant : - L’aspirateur est un appareil ménager. Tu devrais écrire au service après-vente pour leur signaler ton besoin d’appareil à piles les jours où tu vas faire un carnage chez le voisin. M. Dufric : - Madame se croit spirituelle. Hé bien, les plumes resteront où elles sont, le vent les emportera. Mme Dufric : - Et on mangera quoi dimanche ? M. Dufric : - Je croyais qu’on avait rempli le congélateur. Mme Dufric : - Pour une fois que je me proposais de cuisiner comme ma grand-mère ! Hé bien ! Tu as raté l’unique occasion ! M. Dufric : - Tu ferais mieux de me féliciter, de me demander de raconter. On aurait dit un feu d’artifice ! T’aurais aimé voir ça ! S’il en rachète un, on ira le butter un dimanche, pour que les enfants profitent du spectacle...
Tableau 3
Le salon, un soir d’orage. Eclairé à la bougie.
Mme Dufric seule, debout, inquiète : - Ce serait trop bête de mourir dans sa résidence de campagne... J’en suis certaine, il n’y a pas de paratonnerre... Et personne n’a pensé à le demander à ce notaire... (tonnerre, elle se signe quatre fois) Ce serait trop bête, mourir dans sa résidence de campagne où l’on s’ennuie à mourir... C’est vrai qu’on ne peut pas faire autrement que d’y venir. Ça les fait tellement rager les voisines. Pauvres femmes qui doivent rester en ville le week-end... rester en ville le week-end, comme c’est ringard... qu’est-ce qu’elles donneraient pour être à ma place (tonnerre, elle sursaute) Mais où est cet idiot ! Comme si il va voir quelque chose dans le grenier ! Le fou, il va peut-être se faire attaquer par les chauves-souris... Si seulement il pouvait se tuer en descendant de l’échelle !... avec l’assurance-vie... oh ! comme je serais heureuse à Saint-Tropez... là au moins il y a des paratonnerres... Son mari entre...
Mme Dufric : - Oh chéri, enfin, je m’inquiétais !... (tonnerre) M. Dufric : - Mauvaise nouvelle des étoiles. Mme Dufric : - Tu as vu des étoiles. M. Dufric : - Il pleut, il pleut, bergère. Mme Dufric : - Mais je sais, mais je sais. Ne joue pas sur mes nerfs avec des bêtises. Tu sais comment je suis nerveuse quand je me sens en danger. M. Dufric : - Il pleut dans le grenier. Mme Dufric : - Mais l’orage, il va s’arrêter. M. Dufric : - Il pleut dans le grenier. C’est une inondation (tonnerre). Mme Dufric : - Appelle les pompiers. M. Dufric : - Mais chérie, les pompiers, c’est en cas d’incendie. Mme Dufric : - Mais justement, l’eau ça leur servira. M. Dufric éclate de rire : - Oh ! je la replacerai celle-là. Mme Dufric : - Ne te moque pas... emmène-moi à l’hôtel. M. Dufric : - Tu as déjà vu un hôtel dans ce patelin. Mme Dufric : - Oh mon Dieu ! Si seulement on pouvait se changer les idées en regardant la télé. M. Dufric : - Tu vois, pour les télés aussi, il faudrait des télés à piles ! Mme Dufric : - Ne te moque pas ! Ne te moque pas ! Mes nerfs vont craquer... et qu’est-ce qu’il fait ton frère ? il ne pourrait pas nous rebrancher ? M. Dufric : - Il t’a déjà expliqué ! Ce n’est plus de sa responsabilité ! Mme Dufric : - Quel pays ! Et tu ne m’as toujours pas raconté... M. Dufric : - Hé bien demain, tandis que je serai à la chasse, il te faudra nous trouver un artisan. Mme Dufric : - Oh non ! Tu ne vas pas me demander de parler à ces gens-là. M. Dufric : - Au téléphone, tu ne crains rien. Ils doivent bien avoir le téléphone, les couvreurs, dans ce pays. Mme Dufric : - Je n’arriverai jamais à dormir. M. Dufric : - Qu’est-ce que tu ferais sans moi ! Mme Dufric (ça lui échappe) : - J’irais à Saint Tropez !
Tableau 4
Le salon, le lendemain.
Mme Dufric tourne en rond : - Mais qu’est-ce qu’ils font ?... (souriant) si c’était une femme j’aurais des doutes... Entrent l’artisan suivi de M. Dufric. Mme Dufric : - Alors monsieur ? Artisan : - Oh, on peut dire qu’il a souffert ! Mme Dufric : - Mon mari ? Artisan : - Votre toit pardi ! Mme Dufric : - Ah bien sûr... cet orage m’a perturbée... Rien de grave ? Artisan : - Oh, vous avez le choix, on a toujours le choix dans la vie... je peux vous le rafistoler pour trois fois rien... mais au prochain orage, faudra réparer ailleurs... M. Dufric : - Je ne comprends pas, le notaire nous a certifié qu’il était en excellent état. Artisan : - Ah ! si vous commencez à croire les notaires, vous êtes mal partis... M. Dufric : - On a pourtant bien cru qu’il était honnête. Mon frère le connaît. Et il est premier adjoint au maire. Artisan : - Oh ! vous êtes pas les premiers. Je le connais... Entre nous, c’est la pire des crapules. Et je suppose qu’il vous a demandé un petit pourcentage sans facture comme il dit, pour conclure l’affaire avant qu’un riche client qui achète de nombreuses maisons dans la région, ne vienne surenchérir. Mme Dufric : - Vous croyez qu’il nous a menés en bateau ! Oh je m’en doutais, sa main était moite. Artisan : - Les notaires, c’est les pires des escrocs. Je ne veux pas avoir l’air de vous donner des conseils, mais quand on achète une maison, surtout à la campagne, il faut toujours faire expertiser la charpente par un professionnel. A moins bien sûr qu’on s’y connaisse... peut-être que monsieur est un spécialiste. Mme Dufric s’exclame : - Des plans comptables ! M. Dufric : - Oh voyons... je m’y connais naturellement pas moins qu’un autre... comme un homme... Mme Dufric répète : - Comme un homme ! Artisan : - Tout le monde ne peut être spécialiste en tout. Moi en comptabilité, je laisse faire ma femme. M. Dufric est satisfait de cette remarque. Artisan : - La charpente c’est comme tout, il faut faire appel aux gens de métier, sinon on risque quelques déconvenues. M. Dufric : - Vous entendez, par déconvenues ? Artisan : - Je vais prendre une image qu’on utilise parfois dans notre profession : votre toit, c’est du gruyère. Mme Dufric : - Oh ! Vous parlez des trous. Artisan : - Vous v’la avec un toit qu’il faut remettre en état... le plus embattant, c’est que ce n’est pas la bonne période. M. Dufric : - C'est-à-dire ? Artisan : - Le printemps arrive. Et au printemps, ici, vous savez bien... M. Dufric : - Vous n’allez pas me dire que vous fermez. Artisan : - Naturellement non ! Fermer, nous n’en avons pas les moyens. Quand on est son propre patron, on n’a pas de congés payés. Et au printemps, nous sommes quasiment réquisitionnés par les riches étrangers qui veulent leur résidence secondaire nickel pour l’été. M. Dufric : - Entre voisin, je vous fais confiance, vous trouverez bien quelques jours. Vous pouvez quand même nous faire un devis ? Artisan : - Oh ça, pas de problème, la patronne s’en chargera ce soir si vous me laissez prendre les mesures... mais il faudra vous décider rapidement... vous comprenez, les anglais et les hollandais payent toujours d’avance, avec même le petit pourboire qui fait les bons amis, alors on ne peut pas les décevoir. M. Dufric : - A première vue, cette petite affaire va s’élever à combien ? Artisan : - Oh ! y’a du travail ! ça on peut dire qu’il y a du travail... et si je ne me trompe, vous devez avoir un deuxième grenier, au-dessus des chambres... il serait peut-être préférable de vérifier son état... enfin, je dis ça, c’est pour vous... vous pouvez réparer le premier cette année et attendre l’année prochaine pour le suivant, en espérant que d’ici là il n’y ai pas de grosses pluies. En août, les orages sont parfois mauvais dans le coin. Mme Dufric : - Comme hier. Artisan : - Oh hier... ce n’était rien ! Si vos charpentes ne sont pas réparées en août, je vous conseille de ne pas rester en dessous un soir d’orage en août ! Mme Dufric : - Vous croyez que l’autre aussi ?... Artisan : - Je n’ai pas vu, mais croyez-en mon expérience. Quand la toiture est mauvaise au sud, elle est rarement dans un meilleur état au nord. Je dis ça, c’est pour vous. Parce que les toits, si ça commence à prendre l’eau, on en a vues, des maisons, s’effondrer comme des châteaux de sable. Mme Dufric : - Oh !
Tableau 5
Chez l’artisan, salon en pierres apparentes. Tout confort. L’artisan vautré dans un canapé cuir.
Artisan : - Il va le sentir passer, le parisien ! Sa femme : - Je croyais qu’il était bordelais. Artisan : - C’est quoi la différence ?! Tu sais pas que la semaine dernière il a buté le dindon et les canards de Jacquot. Sa femme : - Au fait, oui ! Mathilde me l’a raconté hier matin. Artisan : - Tu diras, c’est bien fait pour sa gueule aussi à ce vieux singe. Avec des balles pour sangliers, il a pas chipoté le con. Qu’ils se tuent entre eux et on sera bien débarrassé. Sa femme : - Et tu vas lui faire ses travaux ? Artisan : - Des travaux comme ça ! J’en veux bien tous les jours ! Il a une tuile fendue (il se tape sur les fesses puis boit cul sec un Ricard) ! Une tuile fendue et un peu d’eau s’est infiltrée, sa latte, pardi, a fini par casser ; et tout le reste est nickel ! Je vais lui changer ses deux toitures ! Sa femme : - Oh ! S’il s’en aperçoit ! Artisan : - Un bureaucrate qui n’a jamais vu un toit ailleurs que sur photos. Et de toute manière, il paiera d’avance ! Sa femme : - Tu vas lui changer toutes les boiseries. Artisan : - Hé pardi ! je fais du travail consciencieux ! je suis un bon français ! je lui échangerai sa toiture avec celle de l’amerloque. Ils seront tous les deux contents et ça nous fera de quoi terminer la maison du fiston. Sa femme : - Laquelle ? Artisan : - Bin pardi ! La grande. Sa femme : - Ils sont cons ces gens des villes, mais comment on s’en sortirait sans eux ! Artisan : - On s’en sortirait mieux si l’Etat ne nous rackettait pas ! Sa femme : - On aurait peut-être dû l’acheter, cette maison. Artisan : - Tu n’y connais vraiment rien aux affaires. Quand la ligne à haute tension y sera, ils vont tous revendre, et on les aura au prix du ciment. Sa femme : - Tu crois vraiment qu’ils vont la faire cette ligne. Artisan : - Et pourquoi ils ne la feraient pas ? Sa femme : - Les manifestations. Artisan : - Les manifestations ! Mais t’y connais vraiment rien ! 5000 pecnots à Cahors. Nous on est 100 fois plus le 1er mai. Sa femme : - Ne compare pas Cahors et Paris... et n’exagère pas ! Artisan : - Quoi ? j’exagère !... Mais tu me cherches, toi, ce soir !... Tu vas quand même pas te mettre à croire ces journaleux. Je te dis qu’on était au moins 500 000. Vivement qu’on soit au pouvoir, et ils comprendront, tous ces gratte-papiers. Sa femme : - Ne t’énerve pas. Artisan : - Un million. Un million qu’on sera cette année. Et là ils seront bien forcés de nous le donner, le pouvoir. Sa femme : - Il y a quand même des élections. Artisan : - Qui te dit que c’est pas notre tour cette fois, et tu vas voir, tous ces cols blancs payés à glander. Tu sais pas que c’est un cadre, l’autre aveugle... Il faut que je réclame maintenant... Où tu as les yeux (il tend son verre, sa femme se précipite sur la bouteille pour lui verser un nouvel apéritif... il a le sourire du mâle triomphant).
Tableau 6
M. et Mme Dufric devant leur maison.
Mme Dufric : - Ah non, je n’entre pas. M. Dufric : - Bah ! Tu devrais être habituée. C’est que la troisième fois !... Mme Dufric : - Si ça te rend philosophe, tant mieux pour toi. Mais moi, non, c’est fini. Cette porte fracturée, je vais la revoir tous les jours dans mes cauchemars. Ramène-moi chez nous. M. Dufric : - On ne va quand même pas se laisser impressionner. Les journaux ont beau parler des jeunes de Toulouse ou Montauban qui se font des petites virées, visitent les résidences secondaires, j’y crois pas. Mme Dufric : - Qu’est-ce tu racontes ? M. Dufric : - Pour te le dire plus clairement, ils n’ont pas besoin d’ autoroutes nos cambrioleurs ! ça ne m’ étonnerait pas que ce soit des gens d’ici. Mme Dufric : - Oh ! Tu crois ! Je comprends pas pourquoi ils ne nous aiment pas ! M. Dufric : - Les ploucs sont idiots et méchants. Mme Dufric : - On devrait revendre et acheter à la mer. Y’a même pas la mer ici.
M. Dufric : - Tu le savais avant. En attendant, je vais quand même téléphoner aux gendarmes. Et je vais leur parler de mes soupçons. Mme Dufric : - Tu crois qu’ils vont t’écouter ? M. Dufric : - Et pourquoi pas ! Et s’ils ne m’écoutent pas, je mènerai l’enquête à ma manière, avec le frangin. Mme Dufric : - Oh lui ! M. Dufric : - On aurait pu faire carrière dans la police, lui et moi. Mais ça paye pas et on n’a même plus le droit de tirer ! Il prend son portable.
M. Dufric : - Quel pays d’attardés ! ça ne passe toujours pas. J’ai pourtant écrit à la mairie pour leur signifier expressément que le portable m’est indispensable. Mme Dufric : - Cette maison ne nous sert à rien. Les enfants veulent plus venir. M. Dufric : - Avec tout ce qu’elle nous a coûté, il faut quand même qu’on en profite. Je te le dis, on ne va pas se laisser intimider. Mme Dufric : - Il s’est bien foutu de nous, le notaire. Et ton frère aussi !
M. Dufric se retourne, rentre dans la maison.
Mme Dufric : - Alors qu’on venait ici pour se faire des amis, qu’on est arrivé avec les meilleures intentions du monde, ces ploucs sont vraiment des gens méchants... Tout ça parce qu’on est riche. Mais on ne l’a pas volé, notre argent. Qu’ils travaillent plutôt que de nous jalouser.